L’histoire méconnue de la hi-fi française des années 70

Attention, cocorico inside
On nous sert toujours la même soupe : « Les Japonais ont tout inventé », « Les Américains ont tout standardisé ».
Ouiiiiiii! Mais dans les années 70, entre la 2CV qui roule sur les chemins, le Concorde qui file à Mach 2 et les Minitel à naître, la France savait faire autre chose que des baguettes : elle savait fabriquer des enceintes, des amplis, des haut-parleurs qui font dresser les poils.
Avant que Sony, Panasonic et Technics n’inondent le marché, le Made in France sonnait fort, bien, et longtemps. Et ça, bizarrement, on l’a un peu oublié.
1. La French Touch avant la French Touch
Les Trente Glorieuses, c’est pas que le plein emploi et les pavillons.
C’est l’électronique grand public qui s’invente, les postes Radiola dans la cuisine, le tourne-disque Pathé-Marconi qui crépite pendant qu’on boit un café brûlé.
Et l’industrie tricolore qui sait tout faire : de la télé, de l’audio, du design.
Pendant que les Américains faisaient du gros ampli à lampes pour fanfare rock, on affinait un son plus fin, plus malin. Moins de watts pour plus de frissons.
« Tu veux un son puissant ? Va voir chez McIntosh.
Tu veux un son intelligent ? Regarde derrière chez Thomson. »
2. Les marques qu’on a oubliées — mais qui ont façonné nos oreilles
CABASSE — Les Bretons du son (et de la mer)
Cabasse, c’est l’Océan dans un haut-parleur. Fondée à Plaisir en 1950, l’âme s’est ancrée en Bretagne, là où le vent et les vagues forgent l’oreille.
Souviens-toi : les Dinghy, les Sampan, les Sphère SCS — ces enceintes qui, posées dans un salon des années 70, pouvaient sonner comme un auditorium.
Une Cabasse Dinghy 221, un ampli à transistor bien réglé, un vinyle de Lavilliers : tu ne décroches plus.
Quand Cabasse sortait ses sphères, même les Anglais levaient les yeux de leurs KEF.
FOCAL — L’artisan devenu empire
Saint-Étienne, début 80. Jacques Mahul bricole ses premiers haut-parleurs dans un garage.
La légende dit qu’il découpait ses membranes à la main pour tester la rigidité.
Et puis un jour, la membrane sandwich W sort. Boom : Abbey Road équipe une salle.
Du jazz feutré à la techno martiale, Focal a mis un bout de Loire dans la stéréo mondiale.
TRIANGLE — Les Bretons qui font danser le monde
Encore la Bretagne. Triangle, c’est la claque pour qui croit que les enceintes françaises sonnent gentillet.
Tweeters à dôme inversé, médium claquant, et une scène sonore qui s’ouvre comme une baie vitrée.
Les Comète, les Antal — ces modèles qui traînent encore sur Leboncoin, poussiéreux mais vifs comme au premier jour.
DAVIS ACOUSTICS — L’ombre, mais pas l’oubli
Moins clinquants, plus discrets : Davis, ce sont les rois du haut-parleur sur mesure.
Si tu fouilles bien, tu découvriras qu’un paquet de marques “prestigieuses” ont, un jour, monté des HP Davis dans leurs caissons.
3. Nos innovations qu’on laisse filer
Qui se souvient qu’en France, l’IRCAM bossait déjà sur l’acoustique spatiale quand Dolby commençait à peine ?
Que nos membranes composites, nos suspensions élastiques, nos filtres passifs maison servaient de base à des systèmes copiés dans le monde entier ?
Et le design, parlons-en : les années 70 françaises, c’est l’intégration avant l’heure. Des enceintes encastrées, des formes organiques, du plaquage bois jamais cheap. Le son et la déco, à la française.
Pendant qu’on copiait le made in Japan, eux copiaient nos brevets.
4. Pourquoi on s’est plantés dans les années 80
Parce qu’on a cru qu’être génial suffisait (comme d'hab')!
On a cru que l’artisanat et l’ingénierie allaient faire le poids face à la pub TV en prime time.
Les Japonais vendaient du rêve chromé à 1500 F. Nous, on collait encore des plaques « Lab de recherche » sur nos boîtes.
Résultat : des marques rachetées, des ateliers fermés, et des brevets revendus pour trois francs six sous.
5. Ce qu’il reste — et pourquoi c’est pas fini
Il reste quoi ?
Des Cabasse Dinghy qui dorment dans des greniers de Bretagne. Des Focal 706 planquées dans les caves. Des Triangle Comète sur un buffet, pas trop loin d’une vieille Thorens TD-160.
Et puis il reste l’oreille. L’oreille de ceux qui savent que le vintage français, quand c’est bien marié, ça respire autrement.
Pour faire taire les rageux
La prochaine fois qu’un type te raconte que « le vrai son, c’est McIntosh ou Yamaha », réponds-lui de passer une soirée dans un salon pas trop grand, avec une paire de Cabasse alignées, un Marantz en entrée de gamme et un disque de Barbara.
Tu verras : la hi-fi française, quand elle chuchote, elle te prend le ventre.
Et ça, aucun marketing ne le remplace.